Le billet d’Alex : Mat Ishbia, l’homme trop pressé
Le 07 févr. 2025 à 09:29 par Alexandre Martin

Si vous n’avez pas le temps de lire, vous n’avez pas celui d’écrire, ni les instruments pour le faire. Ces mots sont de Stephen King. Leur déclinaison en version NBA pourrait donner quelque chose comme : si vous ne prenez pas le temps de réfléchir, vous n’avez pas celui de construire, ni les instruments pour le faire. Mat Ishbia et les Suns sont en train d’en faire le douloureux constat à l’aube de ce qui s’annonce malheureusement comme une nouvelle et longue traversée du désert.
Aujourd’hui, cela fait deux ans pile que le rachat des Suns par Mathew “Mat” Ishbia a été validé par le fameux Board of Governors. Honnêtement j’ai l’impression qu’il est là depuis déjà bien trop longtemps, alors que la réalité est qu’il est surtout là encore pour longtemps. Il y a deux ans donc, Ishbia posait 2,3 milliards de dollars sur la table pour s’offrir 57% des Suns et devenir le plus jeune propriétaire d’une franchise NBA. Tous les espoirs étaient permis avec ce nouveau proprio, un homme d’affaires milliardaire plein d’envie et de certitudes… Ishbia était pressé, il disait vouloir jouer le titre, tout de suite. Il n’avait pas peur de payer de la Luxury Tax. Il n’avait pas le temps, il ne voulait pas être patient. C’est son mal qu’il va devoir prendre en patience désormais. À peine arrivé, Ishbia n’a pas hésité à forcer pour casser un groupe qui était allé en finales NBA 18 mois auparavant afin de faire venir un Kevin Durant voulant quitter les Nets. Une tonne de premiers tours de Draft, Mikal Bridges et Cam Johnson ont été envoyés à Brooklyn. Mais pourquoi pas ! Le talent de KD n’a que peu d’égal dans la ligue.
Quelques mois plus tard, après des Playoffs écourtés par des Nuggets en route vers le titre, les dirigeants des Suns auraient pu se dire que le groupe devait être mieux équilibré autour du talent de Devin Booker et Kevin Durant. Monty Williams dehors, le titré Frank Vogel dedans. Allez, pourquoi pas. Sauf qu’ensuite, la précipitation et le manque de réflexion vont prédominer. Au lieu de travailler intelligemment pour ajouter des profils de joueurs pertinents afin d’entourer leur duo de star, on retrouve un Mat Ishbia fier d’annoncer que l’affreux contrat de Bradley Beal et sa No-Trade-Clause débarquent dans l’Arizona. On est à la fin du mois de juin 2023. Cela ne fait même pas six mois qu’Ishbia est au pouvoir. L’erreur Beal est tellement grosse qu’on a d’abord trop voulu la minimiser. Trois mois plus tard, fin septembre, les Suns se sont fait – pardonnez-moi l’expression – niquer en jouant les facilitateurs dans le trade de Lillard. Est-ce qu’il y avait autant urgence à transférer Deandre Ayton qu’il fallait en plus y attacher le jeune rookie Toumani Camara qui est en train de devenir un ailier de très belle qualité à Portland pendant que le manque de profondeur des Suns dans les ailes est devenu un vrai problème ?
Malgré tout, la bonne dynamique de la fin de saison régulière va permettre aux Suns de faire illusion et à leurs fans d’y croire. Pas longtemps. Quelques semaines, le temps que les Wolves ne les sweepent sèchement dès le premier tour de Playoffs. Une série qui a mis en relief tous les manques de cette équipe de Cactus : leadership, profondeur, solution à la mène en dehors de Booker, l’utilité limitée de Bradley Beal, le manque d’efforts défensifs, l’incapacité de Kevin Durant à se faire violence pour porter son équipe malgré tout son talent, etc, etc… Depuis ça essaie de bricoler avec James Jones, ça fait des petits ajustements, ça a changé de coach pour le titré Mike Budenholzer… Mais ça ne mène à rien et ça ne mènera à rien comme viennent de le montrer les derniers jours avant la trade deadline d’hier soir. La situation des Suns est telle qu’ils n’ont même pas pu être compétitifs sur les dossiers dont ils avaient fait une priorité. Impossible de monter un trade pour faire partir Bradley Beal. Impossible de monter un trade pour faire venir Jimmy Butler. Le premier est donc toujours à Phoenix où la météo – on l’espère – continuera de le satisfaire. Le deuxième cherche désormais un loft à San Francisco où il a rejoint les Warriors de Steph Curry.
En graissant la patte des Hornets à coups de picks de Draft, les Suns ont réussi à améliorer leur secteur intérieur tout en trouvant un point de chute à Jusuf Nurkic sur lequel Budenholzer ne comptait pas. C’est déjà ça mais c’est loin d’être assez. On en revient à notre douloureux constat : les Suns sont en train de payer très cher l’empilement d’erreurs stratégiques faites lors des 24 derniers mois. Les 24 premiers mois du propriétaire Mat Ishbia. Parce qu’être blindé de fric et faire des déclarations prétentieuses ne remplacera jamais le fait d’avoir une vraie compréhension de ce qu’il se passe. Une vraie vision.
Trop sûr de lui, Ishbia a manqué d’humilité et en a oublié les fondamentaux. Le parquet va continuer de les lui rappeler car au final c’est bien là que la vérité d’un groupe éclate. Et non seulement ces Suns ne jouent pas le titre mais avec un roster qui fuit de tous les côtés, ils vont se retrouver devant un mur. Non, pardon, ils sont devant un mur. Le groupe semble impossible à équilibrer. Pauvre Mike Budenholzer. Bradley Beal se sent forcément visé par tout ce qui se dit sur les Suns. Il l’est. Kevin Durant peut légitimement être énervé que ses dirigeants aient, à un moment, considéré de l’échanger pour obtenir Jimmy Butler. Devin Booker commence à se plaindre de la situation globale de l’équipe. Lui qui vient de devenir le meilleur marqueur de la franchise à laquelle il est fidèle depuis 10 ans. C’est moche. Et il n’en faut pas plus pour qu’on – Ramona Shelburne – commence à parler d’une ambiance toxique dans le vestiaire des Suns. Rien de très surprenant et on sait où ce type d’ambiance mène : vers l’explosion. Et dire que les Suns ont été si près du but…
Mat Ishbia va devoir apprendre à écouter, à ne pas se précipiter. Il va devoir apprendre qu’une équipe qui joue le titre ça se construit sur des bases solides, et pas en six mois, afin de pouvoir sauter sur la bonne occasion quand elle se présente et pouvoir faire la différence. Il va devoir accepter qu’une équipe sans âme ne gagne rien et qu’une âme ça ne s’achète pas, ça se construit, avec du temps, avec des choix réfléchis dans le but de créer un groupe. Car il a beau être pressé, aujourd’hui Ishbia est coincé. Il le sera toujours demain. Les Suns et leurs fans aussi.