Warriors 2014/15 – 10 ans plus tard : Mark Jackson et (surtout) Steve Kerr, les stratèges
Le 06 avr. 2025 à 14:58 par Nicolas Vrignaud

Attention au coup de vieux : la dynastie Warriors a gagné son premier titre il y a… dix ans ! Une épopée qui a marqué le début d’une révolution en NBA, notamment sur le plan du jeu. La bande de Stephen Curry était encore jeune, mais a réussi à emporter avec elle une grande majorité de fans de basketball. 10 ans plus tard, TrashTalk vous propose une série retraçant cette aventure singulière. Épisode 5 : Mark Jackson et Steve Kerr, deux techniciens à la racine d’un jeu révolutionnaire.
Lorsque Joe Lacob récupère la franchise des Warriors, en 2010, il n’y a pas grand chose à trouver du côté d’Oakland. Un effectif avec quelques éléments talentueux, dont le rookie Stephen Curry, mais un jeu qui patine et un projet sportif qui n’avance pas, année après année, se contentant de rester dans cette zone très moyenne qui ne permet pas d’aller en Playoffs, mais pas non plus de récupérer un jeune bourré de talent à la Draft.
Mark Jackson, un coach aussi aimé que détesté
L’une des premières actions du nouveau propriétaire est ainsi de remercier Don Nelson à la fin de la saison régulière 2010-11. Une décision qui va changer le cours de l’histoire, puisque c’est Mark Jackson qui est désigné nouveau tacticien en chef de la franchise. Le défi est de taille : il faut tout construire tactiquement, faire en sorte que le groupe passe d’une équipe qui joue pour jouer à une équipe qui joue pour gagner.
Si la première saison sur le banc est avant tout marquée par un lock-out et des blessures qui vont empêcher Jackson de faire vraiment bouger les lignes sur le plan basket, il faut noter que les transferts hivernaux permettent d’évacuer Monta Ellis, joueur important dans l’aile qui libère donc de des opportunités en termes de jeu pour la jeunesse, notamment concernant le rookie d’alors, Klay Thompson.
Le jeu de Jackson, ça consiste en quoi, au fait ? Il faut d’abord dire que s’il est assurément le précurseur de Steve Kerr, il n’est pas non plus celui qui a initié l’ensemble de ce que son successeur développera par la suite, avec le succès que l’on connaît. Sa grande force – et aussi ce qui précipitera sa chute – est d’avoir créé une mentalité forte autour du groupe, transformant cette équipe du ventre mou en bande de chiens enragés prêts à tout donner sur les parquets.
Dans les faits, on parle beaucoup d’isolations sur le terrain, de libertés importantes pour les joueurs. Le meilleur moyen de les mettre face à leurs responsabilités, de voir qui tient le regard et qui craque. L’un des grands axes du jeu de Jackson a aussi été de faire confiance à la jeunesse. Curry a déjà quelques années dans les pattes, mais Klay Thompson n’est qu’un minot.
Il en va de même pour les rookies de l’année suivante, Harrison Barnes, Festus Ezeli et Draymond Green. Andre Iguodala, qui a rejoint le bateau à l’été 2013. Une seule saison sous la direction de Jackson, mais des mots forts pour parler de l’apport du technicien.
“C’était le players coach ultime. Il est l’un des mes coachs favoris. Il fallait jouer dur, être compétitif… mais il allait ensuite faire en sorte que vous soyez dans la meilleure position pour signer le meilleur contrat possible.”
On avance tranquillement dans la ligne temporelle de Jackson, mais tout aussi bon que son coaching soit, ça donne quoi collectivement ? Devinez : la sauce prend fort, le groupe passe d’une équipe de milieu de tableau à une équipe de Playoffs, avec une incursion en demi-finales de la Conférence Ouest dès sa première saison complète.
Stephen Curry préchauffe déjà beaucoup à 3-points, Klay Thompson termine de dessiner les contours de son jeu terriblement efficace en catch and shoot… Malheureusement, si le premier tour est une réussite avec une victoire contre les Nuggets (4-2), les Spurs sont trop forts pour les jeunes d’Oakland. L’ère actuelle n’est pas encore pour eux, les joutes pour le titre se jouent entre San Antonio et Miami.
L’échec est rude, mais l’expérience précieuse. En 2014, on remet ça avec les mêmes, mais l’ambiance a changé. En interne, Mark Jackson est devenu toxique, l’homme qui n’aime personne. La direction de la franchise lui indique de recruter de meilleurs assistants, mais le coach refuse de peur que cela ne soit qu’une manière de le remplacer. Il est aussi pointé du doigt pour des propos homophobes envers Jason Collins, et malgré tout le travail accompli avec les jeunes et dans le jeu, la fin de cycle arrive.
“Jackson ne voulait pas engager les meilleurs autour de lui. Il avait carte blanche, il pouvait prendre ma carte bancaire. Faire ce qu’il fallait pour s’entourer des meilleurs du monde. Il n’a pas voulu en entendre parler […] Il ne pouvait s’entendre avec personne dans l’organisation. Il a fait de l’excellent travail – et je le complimenterai toujours pour cela – mais ce n’est pas possible d’avoir 200 personnes au sein la franchise qui ne vous aiment pas.” – Joe Lacob.
Parano sur les bords, la mentalité “Nous contre le reste” inculquée par Jackson à ses joueurs a rapidement eu des airs de “Nous contre le reste, incluant les gens de la franchise”. Et c’est ainsi qu’après une défaite face aux Clippers au premier tour des Playoffs 2014, Jackson est renvoyé le 6 mai, à la surprise de la NBA en général. Pour laisser place à Steve Kerr, et à la suite de l’histoire glorieuse des Warriors.
Steve Kerr et le mouvement perpétuel
Une semaine après le renvoi de Jackson, Steve Kerr est nommé head coach de Golden State. Son CV de joueur est énorme, avec des titres aux côtés de Michael Jordan chez les Bulls puis de Tim Duncan chez les Spurs. Les Warriors lui laissent les clés de l’équipe de Summer League en 2014, ce qui est assez rare pour un coach NBA, afin qu’il se fasse la main. Et la saison 2014-15 s’engage, la première et déjà la bonne.
Pour comprendre comment Kerr va reprendre les éléments forts laissés par Jackson et les bonifier, il faut parcourir sa carrière dans le basket. Coaché par le légendaire Phil Jackson chez les Bulls, il est utilisé en tant que remplaçant, dans un rôle mine de rien encore très avant-gardiste à l’époque : l’artilleur à 3-points (tiens donc…). Il en retient pour son expérience l’attaque en triangle, qui, si elle n’est plus aussi “brute” que dans les années 90, reste, avec un peu d’adaptation, un super moyen de faire tourner la balle et de créer du mouvement.
Chez les Spurs, sous Gregg Popovich, Kerr est intégré dans collectif qui joue autour des principes de spacing, de mouvement rapide de la balle. Il faut constamment que le jeu bouge et puisse créer des ouvertures. Enfin, et c’est là le grand point – à notre sens – du coaching de Steve Kerr : le small ball.
Il veut une équipe qui peut déclencher à 3-points de partout, des joueurs qui sont capables de prendre l’avantage sur les grands adverses. À ce jeu là, avoir Stephen Curry et Klay Thompson dans son équipe est une sorte de code de triche. Draymond Green est le troisième homme fort du groupe, capable de défendre des grands tout en étant physiquement assez rapide pour les surpasser sur le plan de la dextérité.
Là où le Heat d’Erik Spoelstra et les Warriors de Don Nelson avaient jeté des bases, Steve Kerr fonce sans complexe. Curry est un enfer à défendre, profitant des écrans successifs entre “grands” et “petits” pour épuiser son vis-à-vis, tandis que de l’autre côté du parquet, c’est en fait Thompson qu’il faut surveiller car le tir est pour lui. Un jeu énergivore mais particulièrement efficace quand l’adresse est là.
Vitesse, exploitation à fond du jeu de transition, mouvement perpétuel sur demi-terrain : la recette Kerr prend immédiatement au sein d’un groupe jeune et à l’écoute. Les libertés accordées aux joueurs par Jackson ont permis de créer des gars sûrs d’eux, l’application des principes de Kerr a permis de créer des tueurs. La saison des Warriors est une boucherie sur le plan des victoires, 21-2 pour commencer la régulière, plus haut total pour un coach rookie.
Le trophée de coach de l’année est remporté plus que logiquement, et personne ne résiste à la tempête d’Oakland. 67-15 au 16 avril, le meilleur bilan de l’histoire des Warriors (avant l’année suivante, mdr).
Ce qu’on aime dans le jeu de Kerr, c’est ce qu’il suscite : Stephen Curry incarne l’insolence et la liberté, on se prend à regarder cette joyeuse troupe et à se faire emporter dans son amour pour le jeu. Là est la plus grande victoire de Kerr, des Warriors, du basket.
Les Playoffs ? On en parle au prochain épisode. Mais spoiler : ça va pas trop mal se passer pour les Guerriers !
Et pour les épisodes précédents :
- Ep. 1 – Comment Golden State est revenu au premier plan de la NBA ?
- Ep. 2 – Stephen Curry, un sniper à l’assaut de la NBA
- Ep. 3 – Bob Myers, l’architecte
- Ep. 4 – Klay Thompson et la naissance des Splash Brothers
Sources : ESPN, NBA, The Guardian, Basketball-reference, Bleacher Report