La NCAA et ses moyens financiers délirants, un danger pour le basketball français ?
Le 17 juin 2025 à 18:47 par Nicolas Vrignaud

C’est l’un des grands sujets du basket français depuis le printemps : l’instauration d’une indemnité pour les joueurs universitaires aux États-Unis. Désormais, les facs américaines peuvent rémunérer leurs athlètes à des montants ultra-compétitifs, et la conséquence a été immédiate dans l’Hexagone, avec de nombreux jeunes en partance pour la NCAA. Pour les clubs tricolores, c’est tout un système qui est menacé.
À quelques jours de la Draft NBA, événement qui a, ces deux dernières années, célébré en grande pompe la qualité des joueurs formés en France, presque tous les clubs importants du basketball dans l’Hexagone ne sont aujourd’hui plus à la fête. Concernés par la fuite de certains de leurs jeunes joueurs issus des centres de formation. Léopold Levillain (20 ans) de Cholet à Long Beach, Roman Domon (19 ans) de Gravelines à Murray State, Ilias Kamardine (21 ans) de Dijon à Ole Miss… pour ne citer qu’eux. Le système de formation tricolore est touché par une forme d’exode express de ses talents, qui ont parfois déjà des dizaines d’apparitions en professionnel. L’an passé, plusieurs joueurs ont déjà franchi le pas, tels Amaël L’Étang (19 ans, ex-Cholet – Dayton, en photo de couverture).
La destination ? Le championnat universitaire américain (NCAA), monstre composé de 355 facultés réparties en 31 conférences rien qu’en Division 1, et pesant près 1,35 milliard de dollars de revenus (nombre pour 2024). Une entité tentaculaire aux moyens délirants comparé au basket français lorsqu’il s’agit des centres de formation et des championnats nationaux de jeunes.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de bien comprendre pourquoi ce phénomène de recrutement agressif des prospects survient seulement maintenant. Depuis 2021, les joueurs peuvent être rémunérés via la NIL (Name, Image, Likeness), une mesure permettant aux athlètes de toucher une partie de l’argent gagné par l’utilisation de leur nom, leur image.
Historic shift in college sports. 💰⚖️
The $2.8B House v. NCAA settlement is official. Starting July 1, schools can directly pay athletes.
▪️ Revenue-sharing is real
▪️ Scholarship caps gone
▪️ Roster limits coming
College sports just entered a new era.#NIL #CollegeFootball pic.twitter.com/bNjAy6fmAB
— randysilvertv (@randysilvertv) June 11, 2025
Cependant, ces fonds n’ont été jusqu’ici pas directement versés par les facultés, mais par des organismes tiers tels que des collectifs de supporters. Dans les faits, seuls les meilleurs joueurs des disciplines majeures (football US, basketball) étaient concernés par ce système de rémunération.
L’énorme bouleversement date du 6 juin 2025, quand un accord juridique a été trouvé entre les universités, les conférences et les avocats de joueurs universitaires. L’accord indique que désormais, les revenus liés à la NIL pourront directement être distribués par les facs. La conséquence est immédiate : une course à l’armement non seulement aux États-Unis, avec des propositions astronomiques faites aux joueurs américains, mais aussi à l’international. Et c’est là que le basket français entre en jeu.
Avec des sommes proches du million de dollars la saison (une goutte dans l’argent total brassé par la NCAA…), les recruteurs universitaires n’ont pas de mal à être particulièrement convaincants auprès des jeunes joueurs français évoluant en centre de formation. Ainsi, plusieurs d’entre eux, pourtant déjà partiellement intégrés dans les effectifs professionnels de leurs clubs, vont s’envoler cet été pour les États-Unis.
Même la NBA, pourtant l’un des championnats qui paye le plus cher ses athlètes dans le monde, voit son nombre d’engagés à la Draft chuter. Le phénomène est global, personne n’est épargné.
Only 106 players entered the 2025 NBA Draft, per the NBA. That’s the lowest number of early-entrants since 2015, down from a peak of 363 in 2021, just before the NCAA’s NIL era officially started.
Incredible boon for college basketball to retain so much talent. pic.twitter.com/SSnXEqMrRJ
— Jonathan Givony (@DraftExpress) April 29, 2025
Face à cette concurrence qui joue dans un autre univers en termes de moyens, à l’échelle de la France, l’ensemble des acteurs du milieu s’avoue pour le moment vaincu. C’est notamment le cas de Nicolas Croisy, coach des Espoirs Élite de la JL Bourg, champions de France 2025.
“Aujourd’hui, on ne peut rien faire. Le gamin qui part aux États-Unis, je le comprends parfaitement. Il va jouer devant 10 000 personnes, ici en Espoirs il joue devant 40 personnes. Il aura 4 personnes du staff pour faire ses rebonds, il va devenir bilingue, et quand il rentrera en France, il aura mis de côté de l’argent pour s’acheter une maison, avoir une retraite. On est dépassés.”
À Bourg-en-Bresse, Ayuba Bryant Jr. (20 ans) et Wilson Jacques (20 ans), membres majeurs du groupe, ont choisi de partir en NCAA. Les montants n’ont pas été dévoilés, mais sont à des années lumières de ce qu’un joueur sous contrat aspirant (réservé aux jeunes) peut toucher. Du côté de Cholet Basket, la situation est similaire avec le départ de Léopold Levillain. Et le constat de Laurent Humeau, directeur du centre de formation du club, est amer mais pragmatique.
“Forcément, dès qu’on voit les choses arriver aussi vite, depuis quelques semaines, quelques mois, avec les sommes annoncées… on se dit que c’est une menace. On va former, ils vont partir de plus en plus tôt, comment lutter ? Mais il faut aussi se mettre à la place de ces jeunes, je serai parti aussi. Il y a un constat qui est facile à faire : J’ai 20 ans, on me propose une somme folle, dans un pays qui fait encore rêver. Il faut comprendre qu’à cet âge-là, on soit attirés. N’importe qui aurait raisonné comme ça… Mais il ne faut pas aller trop vite non plus.
Ça peut devenir une porte de sortie du centre de formation de plus en plus fréquente, à laquelle il faudra s’adapter. Aujourd’hui, on a déjà des jeunes qui partent de plus en plus tôt vers le monde professionnel, c’est le gage de notre bon travail. Le monde de la NCAA est différent, ça les attire. La vraie question qu’on risque de se poser, c’est : pourquoi je forme ces jeunes ?”
Le point très important autour de ces recrutements, c’est qu’aucune règle n’existe aujourd’hui pour imposer aux universités de payer une indemnité de transfert au club qui laisse partir un jeune joueur. Ces règles existent entre la NBA et les clubs, et globalement à l’échelle de la FIBA, dont la NCAA ne fait pas partie en tant qu’organisation. Aucune obligation de payer, et de transfert, on passe au “pillage”, pour reprendre le mot choisi par Phillipe Ausseur (président de la Ligue Nationale de Basket) dans les colonnes de l’Équipe ce mardi.
Et dans le cas de certains transferts et tentatives de recrutement, les joueurs visés sont sortis du système de formation depuis plusieurs saisons. C’est le cas d’Ilias Kamardine, mais aussi de Nathan de Sousa (Cholet, 22 ans) qui a été approché alors qu’il est désormais totalement intégré au groupe professionnel. Une pratique qui interroge Laurent Humeau.
“Au delà de Nathan, autant je peux comprendre qu’une université veuille recruter un jeune joueur pour le former, autant aller chercher un joueur déjà professionnel, ça m’interroge. Même si j’imagine qu’ils ont un temps plein basket là-bas. Je me dis que pour les jeunes américains, qui veulent rejoindre la NCAA pour progresser, voir non seulement des internationaux arriver en masse mais des internationaux déjà en carrière professionnelle chez nous, je trouve ça étrange, comme raisonnement.”
Le phénomène est tel que les équipes universitaires n’ont pas hésité à aller toquer à la porte de Nadir Hifi (22 ans, Paris Basket, meilleur jeune d’EuroLeague en 2025), avec des propositions là encore au dessus du million, comme rapporté par Sami Sadik et Yann Ohnona pour l’Équipe.
Alors, comment lutter ? Selon Nicolas Croisy, c’est la FIBA et la FFBB qui ont les cartes en main pour faire pression afin que les clubs puissent toucher de l’argent issu de ces transactions. Possiblement une partie du salaire perçu par le joueur en NCAA. Un système qui permettrait effectivement, avec les gros montants évoqués plus tôt, de compenser les pertes du système de formation français.
“Entre coachs, on est d’accord sur le sujet mais ce n’est pas de notre ressort. Il faudrait que la FFBB, la FIBA travaillent pour que les clubs puissent percevoir une rétribution, une partie de l’enveloppe que le joueur formé touchera aux États-Unis.”
Est-ce donc une sorte de fin de cycle voire d’ère pour les clubs français en matière de formation ? Pas forcément. La FIBA a communiqué sur le sujet, voulant imposer à la NCAA le même système actuellement en place dans le reste du basket mondial : des lettres de sortie, acte officiel permettant à un joueur de changer de club. Dans les faits, le sport universitaire américain n’aurait que très peu d’intérêt, outre celui de l’éthique, à prendre part à cela.
“La décision a été prise de discuter avec la NCAA avec l’objectif de traiter les transferts de joueurs non-américains vers les universités de la même manière que les transferts entre clubs FIBA, avec des lettres de sortie.”
Il faut aussi nuancer : jusqu’ici, les plus gros prospects tricolores n’ont pas tous fait le choix de partir. L’EuroCup, l’EuroLeague, le championnat de France… l’offre reste, et c’est le point de vue de TrashTalk, très attractive pour un jeune qui souhaite s’armer avant la NBA. Aller aux États-Unis pour finir le processus de formation est peut-être plus une mise en danger qu’autre chose, avec une perte de repères évidente et de continuité dans la formation.
Another big time addition for the bigs! Help us welcome Leopold to the Beach! #GoBeach https://t.co/nEBXm5nZUO
— Long Beach State Men’s Basketball (@LBSUMBB) June 13, 2025
Pour Laurent Humeau, l’effet de nouveauté joue beaucoup dans le nombre de départs, et pourrait laisser place à des questions importantes sur le plan du basket. Un domaine dans lequel le modèle tricolore à des cartes à jouer.
“Sur les aspects liés à la performance, aux infrastructures, on est battu, ça c’est clair. Je dirais que le travail, pour avoir eu des échos de certains joueurs déjà sur place, c’est de montrer qu’il n’y a pas que l’intérêt financier. Il y a aussi le goût du jeu. Aujourd’hui, si on prend notre saison, on a un jeu collectif avec des systèmes, Cholet l’a montré cette saison avec l’équipe professionnelle, où tout le monde a apporté sa pierre à l’édifice. Un joueur, s’il aime ça, il ne retrouvera pas ça aux États-Unis, où c’est l’individualisation qui prime.”
Le directeur du centre de formation de CB complète et conclut en expliquant que le phénomène pourrait aussi s’essouffler, avec les premiers retours de joueurs en France et le partage de l’expérience avec les potentiels partants.
“Là, les joueurs sont tous dans la signature en ce moment. On verra comment vont se passer les saisons. Je reste persuadé qu’il y aura de l’auto-régulation sur place, et qu’il y aura des déçus. Par le jeu, par l’expérience de vie initialement promise… Certains, je pense, ne sont pas prêts à partir, et je ne leur souhaite absolument pas de se sentir mal. Il pourra toutefois y avoir des retours qui vont mener à une réflexion chez certains, peut-être que ce n’est pas si rose que ce qu’ils ont en tête.”
Sources : l’Équipe, NCAA, ESPN, FIBA