Du Eighth Regiment Five of Chicago au Giles American Legion Post Five : l’armée des ballers afro-américains de Chicago
Le 19 août 2025 à 08:30 par David Carroz

Alors que Wendell Phillips High School fait vibrer le cœur de la communauté afro-américaine sur les parquets des lycées, des jeunes hommes un peu plus âgés tirent également leur épingle du jeu avec une balle orange entre les mains. On reste du côté de Bronzeville, à une dizaine de minutes à pied plus au nord. Direction le Eighth Regiment Armory.
Le Eighth Regiment Armory, c’est le terrain de jeu favori des Black Fives à Chicago. Son origine remonte à la fin de la Guerre de Sécession. Le huitième régiment de la garde nationale de l’Illinois descend d’une milice de volontaires de la communauté ayant voulu continuer à servir le pays après le conflit. Un bataillon qui finit par avoir son propre building en 1915, la première armurerie construite pour un régiment militaire afro-américain. Qui dépasse rapidement – et c’était le but – ses fonctions militaires pour servir à l’ensemble de la communauté. L’armurerie devient ainsi un lieu essentiel du développement du basketball afro-américain, accueillant de nombreux matchs. Il faut dire que les salles avec un terrain d’une taille correcte et une capacité suffisante ne courent pas les rues de Chi-town. Un gros match où on attend du public ? Il faut réserver le Eighth Regiment Armory pour espérer gagner un peu d’argent avec les spectateurs.
Le régiment met d’ailleurs sur pied sa propre équipe, au nom original de Eighth Regiment Five of Chicago, qui fait vite des étincelles. Le Black Five, surnommé “Fighting Eighth”, évolue logiquement dans son armurerie située au croisement entre la 35ème rue et South Giles Avenue. Dans ses rangs on retrouve quelques noms déjà bien connus sur les rives du lac Michigan puisque Sol Butler et Virgil Blueitt sont les têtes d’affiche de l’équipe, après avoir fait les beaux jours d’autres Black Fives comme les Chicago Defenders.
En 1924, le Eighth Regiment Five brille au-delà même de Chicago. Sa victoire sur Loendi – une équipe de Pittsburgh couronnée quatre fois consécutives comme Colored Basketball World’s Champions de 1920 à 1923 – lui permet de terminer la saison avec le meilleur bilan parmi les Black Fives de l’Ouest – notion géographique toute relative. À l’Est, c’est le Commonwealth Big Five qui a tiré son épingle du jeu, mais comme les deux formations ne se sont pas affrontées, elles se partagent alors le titre de boss du basketball afro-américain en 1924.
Dans le même temps, une autre équipe pointe le bout de son nez dans la communauté afro-américaine. Et elle dispose aussi d’un lien étroit avec l’armée, en dehors du fait que certains de ses matchs sont joués au Eighth Regiment Armory. Situé sur Wabash Avenue, le George L. Giles American Legion Post, N°87 vise avant tout à regrouper tous les vétérans de la ville à partir de 1919. Le nom vous rappelle forcément l’avenue sur laquelle se trouve l’armurerie. Normal, la voie comme le quartier militaire rendent hommage au Second Lieutenant George Louis Giles, le seul officier du Eighth Colored Regiment décédé durant la première guerre mondiale.
Le basket n’est pas au cœur du projet du Giles Post. Il s’agit avant tout de proposer des événements de socialisation au sein de la communauté autour de la musique, de la danse, du sport. Afin de recruter tous les anciens combattants du coin, l’association n’hésite pas à faire du porte à porte dans Bronzeville, en commençant par Wabash Avenue puisqu’elle y siège. Logiquement, des anciens de la YMCA sont dans le coin et rejoignent le groupement au sein duquel ils montent une équipe de basket en 1922.
Petit à petit, le Black Five ne se contente plus seulement des vétérans de l’armée, si bien qu’après avoir pris le relai – et de nombreux joueurs – au Eighth Regiment Five, le roster se renforce avec les gamins qui sortent de Wendell Phillips High School. Une volonté de progresser qui s’accélère avec l’arrivée en tant que manager, promoteur, coach et parfois joueur de Dick Hudson, ancien pro de football américain. En 1926-27, Tommy Brookins, Randolph Ramsey, Toots Wright, et Lester Johnson qui ont cartonné avec le lycée de Bronzeville continuent leur parcours au sein du Giles Post American Legion Five.
Dick Hudson rêve de monter une équipe pro et son ambition passe par du barnstorming. Il faut sortir de Chicago pour faire du blé. Comme la popularité du Black Five grandit, il s’arrange avec un certain Abe Saperstein pour mettre sur pied une tournée dans le Wisconsin en 1927. Il passe par cet intermédiaire blanc, car lorsqu’il s’agit de parler business et réserver des dates avec les équipes et organisateurs en dehors de Chicago, cela facilite le travail. On n’est pas chez les Sudistes, mais on reste dans une Amérique marquée par le racisme.
Lors de cette tournée, le Giles Post American Legion Five se déplace uniquement dans des petites villes, mais les bases du barnstorming sont posées pour les équipes qui vont suivre la formation de Dick Hudson. Mais il y a un hic dans ces débuts du barnstorming pour le Black five. L’équipe se présente comme Colored Basketball World’s Champion, coachée par Sol Butler et dont les joueurs sortent tous de bons programmes basket à la fac. Et le pôle fact checking du Chicago Defender n’apprécie guère de voir cette publicité mensongère. En réalité, pas de Butler, et les petits gars qui composent l’équipe sortent principalement de Wendell Phillips High School et ne rêvent même pas d’aller à l’université. Quant au titre, il n’est même plus décerné. Pire, le journal prétend même que l’utilisation du nom Giles Post American Legion se fait sans l’autorisation du commandant en charge de l’association des vétérans.
Ça ne sent pas très bon pour Dick Hudson et son équipe qui se trouvent dans le viseur de l’hebdomadaire le plus influent de la communauté afro-américaine à Chicago. Mais une nouvelle opportunité pointe le bout de son nez et il va savoir en profiter pour renommer le Black Five mais aussi s’ouvrir de plus grandes perspectives, au point de même pouvoir se passer du Eighth Regiment Armory pour jouer ses matchs à domicile…
Source : The Black Fives – The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era, Claude Johnson