Chocolate Co-Eds : les filles de Chicago partent en tournée

Le 21 août 2025 à 08:41 par David Carroz

Chocolate Co-Eds - les filles de Chicago partent en tournée
Source image : TrashTalk via ChatGPT

Si les Roamer Girls ont été les premières afro-américaines à régner sur le basket à Chicago et à exporter leur talent en s’éloignant des rives du lac Michigan pour quelques rencontres, un autre Black Five féminin qui va reprendre le concept de barnstorming pour exhiber le basket made in chi-town sur les routes des États-Unis : les Chocolate Co-Eds.

L’histoire de cette équipe, nommée à l’origine Club Store Co-Eds, mêle de nombreux ingrédients déjà vu dans le développement du basketball afro-américain à Chicago. Tout d’abord avec un noyau dur de la formation qui évolue ensemble sous le patronage d’une église, la Pilgrim Church et complété par d’anciennes joueuses des Chicago Roamers. C’est Dick Hudson, probablement pas assez occupé par les Chicago Crusaders, qui monte ce Black Five. Et comme pour les garçons, c’est du côté des frères Jones qu’il trouve le financement pour son équipe, en s’appuyant sur le Club Store comme sponsor, une enseigne située dans Bronzeville et qui a vu le jour grâce aux fonds des Jones. On ne change pas une combine qui marche.

Si les matchs à domicile sont joués au Eighth Regiment Armory, c’est plutôt sur la route que les Club Store Co-Eds se font un nom. Ou plutôt un surnom. Dès leur création en 1934, Dick Hudson trouve des opportunités pour envoyer son groupe direction l’ouest pour une tournée : Wisconsin, Minnesota et Iowa sont au programme, ainsi que quelques arrêts de l’autre côté de la frontière canadienne. Les Co-Eds deviennent alors le premier Black Five féminin à éprouver le concept de barnstorming. Sur ces routes, un journaliste les appelle Chocolate Coeds pour bien mettre en avant leur couleur de peau dans cette Amérique tolérante. Et le blaze reste. Comme pour les Globetrotters qui utilisent Harlem pour annoncer qu’ils sont Afro-américains, les Club Store Coeds vont prévenir la foule blanche des petits bleds rencontrés en s’appuyant sur ce nom Chocolate.

Dans la promotion des Chocolate Co-Eds par Dick Hudson, on retrouve clairement l’exagération qui caractérisait déjà le manager avec ses équipes masculines : on en rajoute un max sur les joueuses, on s’affiche bien entendu comme champion chez les Afro-américains. De toute façon, qui va vérifier ? Il vend par exemple Helen “Streamline” Smith, l’intérieure de l’équipe, comme étant une seven footer ou la plus grande femme du monde alors qu’elle mesure au mieux deux mètres, peut-être même moins encore. L’important ce n’est pas la taille, mais plutôt le niveau sur les parquets. Et question talent, pas de publicité mensongère, les Chocolate Co-Eds cartonnent. Si bien que trouver des équipes qui acceptent de se faire maltraiter n’est pas chose aisée.

Dans ce cas, allons se frotter aux mecs. Un chemin emprunté par exemple par les All-American Red Heads, des pionnières du barnstorming de l’autre côté de la barrière raciale. Malgré la promotion des Co-Eds comme une équipe athlétique et rapide capable de jouer selon les règles masculines, Hudson restreint souvent le jeu des équipes adverses – distance de tir minimale ou un seul tir par possession pour les hommes. Dans un premier temps, cette décision ne décrédibilise pas le talent manifeste de ces joueuses et le public apprécie le spectacle. Le style de jeu n’est pas celui des Globetrotters avec le divertissement qui prend le dessus sur le sport, mais les Chocolate Co-Eds savent rendre leurs prestations entrainantes, entre vivacité des passes et quelques trick shots. Et ça gagne, mais le bilan exact de ces confrontations est difficile à obtenir, entre la domination proclamée par Hudson et le peu de boxscores permettant de valider de tels propos.

En 1939, changement de sponsor. Matthew Bivins Jr., une autre figure des jeux d’argent, prend la main sur les Chocolate Co-Eds, renommées pour le coup Bivins All Stars. Mais sur les routes, l’équipe reste connue comme les Chocolate Co-Eds et malgré ce changement de nom, on reste dans la continuité : on envoie le talent en tournée, et ce n’est pas l’arrivée de Tidye Pickett, première athlète afro-américaine à avoir participé aux Jeux Olympiques en 1936 à Berlin, qui va réduire le niveau sportif de l’équipe. Ni l’excès dans la promotion de l’équipe et cette fâcheuse habitude de s’arranger avec la vérité. Comme lorsque les Co-Eds participent aux compétitions AAU – Amateur Athletic Union – par définition réservées aux amateurs : pas un mot sur le statut semi-pro des joueuses qui touchent de l’argent lors des tournées, histoire d’éviter l’exclusion.

Avec l’entrée en guerre des États-Unis, alors que l’équipe a encore changé de main et de nom pour être désormais les Chicago Co-Eds, le déclin s’amorce. Ou plutôt s’accélère. Car depuis le début des années quarante, afin de s’assurer du public dans tous les coins paumés et parfois – souvent – racistes du pays, la publicité autour des joueuses tourne désormais à la mise en avant de freaks. Si on a déjà vu l’exemple d’Helen Smith vendue comme une géante, Tidye Pickett gagne pour sa part le droit de faire des démonstrations de sprint à la mi-temps des rencontres. Le conflit mondial ralentit le rythme des tournées, l’occasion de donner un nouveau souffle aux Chocolate Co-Eds ?

Malheureusement pas tellement. Si les filles reprennent la route en 1946 avec Dick Hudson de retour aux manettes et le titre de championnes du monde du basketball afro-américain féminin accolé à leur nom sans autre justification, le sport évolue. Et pas dans le bon sens pour les jeunes femmes. Si des voix s’élevaient lors de leur période de gloire pour déclarer que les activités physiques pouvaient être dangereuses pour le sexe qu’elles qualifient de faible, ce courant de pensée semble validé par la baisse du sponsoring et du soutien envers le sport féminin dans la seconde moitié des années quarante.

Financièrement, la situation devient compliquée, d’autant plus que le public commence à se lasser des méthodes promotionnelles malhonnêtes entourant les Chocolate Co-Eds. Deuxième effet kiss cool pour les caisses de l’équipe qui se sépare en 1950. Certaines joueuses rejoignent d’autres équipes de barnstorming alors que Dick Hudson ne veut pas lâcher l’affaire et tente de faire revivre les Roamer Girls. En vain.

Dans l’ombre des grandes figures de l’histoire du sport, les Chocolate Co-Eds et leurs ancêtres des Chicago Roamers ont marqué leur temps en s’inscrivant parmi les premières équipes féminines noires de basketball reconnues. Loin des projecteurs et des gros titres à cause de leur couleur de peau et de leur genre, ces jeunes filles illustrent l’histoire difficile du sport féminin et afro-américain au début du vingtième siècle. Leur héritage demeure obscur et complexe, mais il est indéniable qu’elles ont tracé la voie pour les futures générations de sportives afro-américaines. Qui doivent beaucoup à ces pionnières méconnues, mais indubitablement importantes.

Source : Black Fives Foundation


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